Le savon de Marseille n'est pas qu'un simple produit d'hygiène : c'est un symbole de la tradition française, un témoin de l'histoire industrielle et commerciale de la Méditerranée. Son héritage continue d'inspirer les savonniers artisanaux d'aujourd'hui, qui perpétuent et réinventent cet art millénaire.
Les origines antiques : d'Alep à Marseille
L'histoire du savon de Marseille commence bien avant Marseille elle-même. Ses racines plongent dans l'antiquité orientale, avec le fameux savon d'Alep, créé en Syrie il y a plus de 3000 ans. Cette recette ancestrale, à base d'huile d'olive et d'huile de baies de laurier, fut transmise par les marchands levantins qui sillonnaient la Méditerranée.
C'est au cours des Croisades, entre le XIe et le XIIIe siècle, que les secrets de la saponification orientale arrivent en Europe occidentale. Marseille, port de départ vers la Terre Sainte, devient naturellement l'un des premiers centres de production savonnière d'Europe.
La naissance d'une industrie (XIVe-XVIe siècles)
Dès le XIVe siècle, Marseille compte plusieurs savonneries qui exploitent les abondantes ressources locales : l'huile d'olive de Provence, la soude extraite des cendres de salicorne et l'eau pure des Alpilles. Cette combinaison unique donne naissance à un savon d'une qualité exceptionnelle, rapidement réputé dans toute l'Europe.
En 1370, le savonnier marseillais Crescas Davin signe le premier contrat commercial connu pour l'exportation de savon vers l'étranger, marquant le début de l'expansion internationale du savon de Marseille. Au XVIe siècle, la ville compte déjà une vingtaine de savonneries qui emploient plusieurs centaines d'ouvriers.
L'âge d'or : la réglementation de Colbert (1688)
L'année 1688 marque un tournant décisif avec l'édit de Colbert qui réglemente la fabrication du savon. Ce texte fondateur impose une composition stricte : 72% d'huile d'olive minimum, exclusion de toute graisse animale, et l'obligation de respecter un processus de fabrication précis.
Cette réglementation, loin de brider l'industrie, la propulse vers l'excellence. Elle garantit une qualité constante qui fait la réputation du savon de Marseille dans le monde entier. Le fameux cube vert estampillé devient le symbole de cette qualité française.
Le processus traditionnel marseillais
La méthode marseillaise traditionnelle, codifiée par Colbert, comprend cinq étapes essentielles :
- L'empâtage : Cuisson de l'huile d'olive avec la soude dans de grands chaudrons
- Le relargage : Ajout de sel pour séparer le savon de la glycérine
- La cuisson : Plusieurs cycles de cuisson et lavage pour purifier le savon
- La liquidation : Nettoyage final et obtention d'une pâte homogène
- Le moulage et séchage : Coulage, découpage et séchage de plusieurs mois
L'expansion industrielle (XVIIIe-XIXe siècles)
Le XVIIIe siècle voit l'explosion de l'industrie savonnière marseillaise. En 1786, la production atteint 76 000 tonnes annuelles, faisant de Marseille le premier centre savonnier mondial. Cette prospérité s'explique par plusieurs facteurs :
- L'expansion coloniale : Nouvelles sources d'huiles végétales (palmiste, coprah)
- Les innovations techniques : Mécanisation progressive des procédés
- Le développement du commerce : Exportation vers les colonies et l'Europe du Nord
Au XIXe siècle, l'industrie marseillaise compte jusqu'à 90 savonneries qui emploient 3500 ouvriers. Des dynasties familiales se créent : Marius Fabre (1900), Le Sconfine (1894), ou encore la Compagnie du Savon de Marseille, témoins de cette époque faste.
Les défis du XXe siècle
La concurrence industrielle
L'arrivée des détergents synthétiques dans les années 1950 bouleverse le marché. Ces nouveaux produits, moins chers et plus faciles à produire, séduisent les consommateurs par leur praticité. De 90 savonneries en 1900, Marseille n'en compte plus que 14 en 1950, puis seulement 3 dans les années 1990.
La lutte pour l'authenticité
Face à la multiplication des contrefaçons et des produits industriels usurpant l'appellation "savon de Marseille", les derniers fabricants authentiques se mobilisent. En 2003, ils créent l'Union des Professionnels du Savon de Marseille (UPSM) pour défendre la tradition et l'authenticité.
La renaissance artisanale contemporaine
Le retour aux sources
Depuis les années 2000, on assiste à un véritable renouveau de l'intérêt pour le savon de Marseille authentique. Cette renaissance s'explique par plusieurs phénomènes :
- Prise de conscience écologique : Produit biodégradable et naturel
- Retour au fait-main : Valorisation de l'artisanat traditionnel
- Bien-être : Recherche de produits respectueux de la peau
- Authenticité : Désir de traçabilité et de transparence
Les nouveaux héritiers
Une nouvelle génération de savonniers artisanaux s'inspire de la tradition marseillaise tout en l'adaptant aux besoins contemporains. Ces artisans modernes respectent les principes fondamentaux - huiles végétales de qualité, saponification à froid ou tiède, ingrédients naturels - tout en innovant dans les parfums, les formes et les propriétés.
L'héritage technique et culturel
Les techniques héritées
La tradition marseillaise a légué à la savonnerie moderne plusieurs principes fondamentaux :
- La primauté de l'huile d'olive : Base noble pour des savons de qualité
- La pureté des ingrédients : Exclusion des additifs chimiques
- Le temps de cure : Patience nécessaire à l'excellence
- Le savoir-faire artisanal : Gestes précis transmis de maître à apprenti
L'influence mondiale
Le modèle marseillais a inspiré des savonneries dans le monde entier. De l'Italie du Nord à l'Espagne, de la Grèce à la Turquie, les techniques marseillaises ont essaimé, adaptées aux ressources et traditions locales.
Distinguer l'authentique de l'imitation
Les signes de reconnaissance
Un véritable savon de Marseille traditionnel se reconnaît à :
- Sa composition : 72% minimum d'huiles végétales
- Sa couleur : Vert olive ou blanc crème (sans colorant)
- Sa forme : Cube de 300g ou 400g traditionnel
- Son estampillage : Marque du fabricant authentique
- Son origine : Fabrication dans la région marseillaise
Les dérives contemporaines
Malheureusement, l'absence d'appellation contrôlée permet à de nombreux produits industriels de s'approprier l'appellation "savon de Marseille". Ces imitations, souvent fabriquées en Asie ou avec des matières premières de moindre qualité, diluent l'héritage authentique.
L'avenir de la tradition
Aujourd'hui, l'héritage du savon de Marseille vit à travers une nouvelle génération d'artisans passionnés. Ils perpétuent les gestes ancestraux tout en les enrichissant d'innovations respectueuses de la tradition : nouvelles huiles biologiques, parfums naturels, formes artistiques.
Cette transmission vivante assure la pérennité d'un savoir-faire unique au monde. Chaque savon artisanal créé selon les principes marseillais porte en lui l'histoire de ces générations de maîtres savonniers qui ont façonné cette tradition exceptionnelle.
Chez Relegdiffi, nous sommes fiers de perpétuer cet héritage en formant les savonniers de demain aux techniques traditionnelles françaises. Car c'est en transmettant ce savoir que nous préservons l'âme de la savonnerie artisanale française.
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